un écrivain de formeParchemin verso

 

MÉMOIRES ET DOCUMENTS PUBLIÉS PAR LA SOCIÉTÉ SAVOISIENNE D'HISTOIRE ET D’ARCHÉOLOGIE

TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ "Séance du 14 août 1898".

(Présidence de M. Mughier.)

M. Mughier lit la notice suivante :

Un écrivain de forme en Maurienne.

A la fin du moyen-âge, on appelait écrivains de forme, chacun le sait, les calligraphes, dessinateurs de lettres, dont l’art délicat savait composer et embellir les livres d’heures et romans, les « illuminer » même par de belles compositions en couleur ou simplement noires, ou encore seulement par des majuscules ornées de gracieuses arabesques. Dans notre livre Les Manuscrits à miniatures de la Maison de Savoie ( Moûtiers-Tarentaise, F. Ducloz, m.dccc.xciv, p. 13-17 ) nous avons rappelé les noms de quelques-uns de ces artistes auxquels, souvent, se joignaient des doriers ou orfèvres , pour enrichir les manuscrits de rubis et de perles, et les munir d’armoiries et de fermoirs (Comme au Liore d'heures d'Amèdèe IX , à la Bibliothèque publique de Chambéry; op. cit p. 107). Nous avons cité les noms de quelques écrivains de forme, Pierre Joly, de Pierre-Cbâtel, Jean Prévost, de Thonon .

Une heureuse découverte nous permet d’y ajouter celui de Pierre Gros, de Lanslevillard en Maurienne, au pied du Montcenis. Un parchemin très bien conservé nous apprend son existence. Suivant un acte dressé par le notaire Bronin, l’écrivain de forme avait traité avec Dom Pierre Pascalis, curé d’Albanne, et Jean Dini ou Divi? — nommons-le Jean Le saint, pour la confection d’un graduel. Il devait d’abord acheter le parchemin nécessaire; il l’acquit à Saint- Jean -de- Maurienne, sans doute, et le paya 20 florins d’or petit poids. C’est la quittance de cette somme que nous avons retrouvée. Elle est faite le 26 juin 1439, à Albanne, sous l’épiscopat de l’évêque Oger Morisetti, par le ministère du notaire Jean douz Curtilaux. La copie que nous possédons a été délivrée (plus tard) par le notaire Claude Bizel, commis à l’expédition des actes de Jean douz Curtilaux, ou du Curtil, par le vicaire de la curie épiscopale de Maurienne (le juge épiscopal).

Si nous possédions le premier contrat intervenu entre Pierre Gros et le curé Dora Pascalis, nous y verrions certainement le prix auquel l’écrivain travaillait et le temps qu’il ne devait pas dépasser pour achever son œuvre. Peut-être même y trouverait-on le coût spécial des lettres ornées et des rubriques. Mais notre quittance ne donne que le prix du parchemin employé : 20 florins d’or petit poids, ce qui n’apprend pas grand chose, car, d’abord, nous ne connaissons pas exactement la valeur du florin et, surtout, son pouvoir à cette époque. (En 1398, le florin d’or petit poids était au change de 12 gros (Cibrario, Economie politique du moyen âge, en 1448, le duc Louis prescrivait que les florins de Savoie dont il ordonnait la frappe « vaudraient 12 gros de la monnaye de Savoye ». (Duboin, Raccolta délie Leggi, XVIII, p. 919).

Nous ignorons complètement le nombre de peaux de parchemin qui furent achetées et qui durent être assez chères, à raison même de la grandeur du format, vingt feuilles apparemment. Quant au salaire, peut-être fut-il de deux ou trois gros par jour, à moins que la communauté ne nourrit l’artiste à la cure. En effet, dans ce tout petit village, invisible quoique haut perché, l’artiste ne put trouver à se loger et à se nourrir que chez le curé. Ils furent, d’ailleurs, l’un pour l’autre, un compagnon agréable, et le prêtre put, au besoin, diriger l’écrivain dans la notation assez délicate des versets du Graduel.

Depuis longtemps, l’œuvre de Pierre Gros a disparu d’Albanne. L'église, sous le vocable de Saint-Alban, où les versets furent chantés aux fidèles les dimanches et fêtes, a disparu. Une nouvelle a été édifiée au dix-huitième siècle, sous Mgr do Martiniana (1757-1779) ; mais avec utilisation de parties plus anciennes, car la façade porte la date de 1681.

TRANSCODAGE DU TEXTE FIGURANT SUR LE PARCHEMIN.

Anno domini Millesirao quatercentesimo trigesimo nono indictione secunda die vicesima sexta ensis junii Revereodo in christo pâtre et domino domino Ogerio dei gratia maurianensi episcopo existente coram testibus infrascriptis. Per hoc presens publicum instrumentum cunctis fiat et sit manifetum. Quod ad instantiam et requisitionem dompni Pétri Pascalis curati Albane et Iohaneti divj (ou Dini) eiusdem parochie , presentium stipulantium et recipientium pro se et vice nomine et ad opus ipsius communitatis et omnium aliorum et singulorum quorum interest et interesse poterit infuturum. petrus grossi scriptor forme parochie lancei villarij maurianensis dyocesis sua sponle et gratis confessus fuit publiée et in rei veritate manifeste recognovit se habuisse et récépissé ab eadem communitate licet absente ministerio dicti notariii pro eadem interveniente manu dictorum dompni pétri pascalis curaii et jobaneti divj nomine dicte communitatis solverunt videlicet viginti florenos auri parvi ponderis. In quibus dicta communitas dictopetro grassi lenebatur causa emptionis pergameni per ipsum petrum implicandum in uno graduale per ipsum petrum nomine ipsius communitatis componendo prout continetur in quodam publico instrument© manu Anthonii Broninij notarii recepto continetur ut asseruit. De quibus quidem viginti florenis ut supra habuisse et récépissé confessatus (ou confessatur pour confitetur) dictus petrus grossi prenominatos dompnum Petrum et Iohanem divj et me dictum notarium ut supra stipulantem et recipientem tenore presentis instrumenti solvit et quictavit cum pacto solempni et expresso de predictis viginti florenis ut supra per eum habuisse et récépissé tune confessatus ulterius aliquid non petendo. Actum hoc fuit in civitate Mauriane in bancha operatorij germani douz Curtilaux notarii ubi ad premissa fuerunt testes vocati et rogati : idem Germanus douz Curtilaux, Iohannes Bruneti notarius et magister Petrus

Maruglierij codurerius. Et ego Glaudius Bizelli de civitate Mauriane auctoritate imperiali notarius publicus hanc cartam manu Iohannis douz Curtilaux notarii quondam receptam virtute commissionis generalis heredum dicti quondam Iohannis douz Curtilaux concesse per venerandum virum dominum vicarium curie epis- copalis Mauriane de ipsius quondam lohannis protocollis levavi signoque meo fierj solito sigoavi et in eadem me subscripsi et tradidi in (idem robur et testimonium premissorum.

GRADUEL

Du  latin  gradus : « marche », « degré ». Les Psaumes « graduels » étaient ces « Psaumes des montées » que les Israélites chantaient en montant les degrés du Temple, quand ils arrivaient en pèlerinage à Jérusalem (Ps 119 à 133). Dans la liturgie romaine, on chantait ces Psaumes graduels, ou d’autres, entre l’épître et l’évangile de la messe. L’usage était de les chanter à l’ambon, emplacement un peu élevé où l’on accédait par des marches, pendant que la procession de l’évangile se dirigeait vers les degrés.

Le Graduel grégorien est la pièce exécutée entre la première lecture et l’évangile de la messe ; il s’agit d’un répons composé d’une première partie chantée par tous et d’un verset donné par les chantres ; pour mieux respecter la nature responsoriale, il est possible de reprendre la première partie après le verset (da capo). Dans la grande majorité des cas, le texte des deux parties du Graduel est emprunté au Psautier.

Le dimanche, on chante le Graduel entre la première et la deuxième lecture, sauf pendant le temps pascal où l’on donne un premier Alléluia. En semaine et en dehors du temps pascal, on peut exécuter soit un Graduel soit un Alléluia entre la première lecture et l’évangile ; au cours du Carême, seul le Graduel est possible. Comme le Graduel est la pièce la plus ornée du répertoire grégorien de la messe, on a donné son nom au recueil des pièces qui peuvent être chantées au cours de la célébration eucharistique : Introit, Graduel proprement dit, Trait, Alléluia, Séquence, Offertoire, Communion, Kyriale.

Le graduel est donc le livre de Chant grégorien utilisé à la messe. Selon les vœux du deuxième concile du Vatican (Constitution sur la sainte Liturgie, n° 117), un Graduale simplex est paru « contenant des mélodies plus simples à l’usage des petites églises », c’est-à-dire moins préparées à l’exécution des grandes pièces.